Octobre 2015 – De nombreuses campagnes de prévention ont été mises en œuvre pour tenter d’endiguer l’augmentation de la fréquence du mélanome observée au cours des dernières décennies. Elles ont sans doute contribué à un ralentissement de cette évolution mais beaucoup reste à faire en particulier auprès des adolescents et des adultes jeunes. Car ce sont eux, parmi tous les groupes d’âge, qui se protègent le moins contre l’exposition aux UV.
Des dermatologues de Mexico et de Boston ont repris les principes du « behavioral economics », développés par Daniel Kahneman, prix Nobel 2002 d’économie, décrivant le comportement des êtres humains dans des situations économiques, pour décrypter l’attitude des adolescents et jeunes adultes face à la prévention et lancer des pistes pour adapter les stratégies préventives à cette population.
Des distributeurs d’écran solaire sur les plages
En grande majorité les individus préfèrent ne pas changer leurs habitudes et rester dans une sorte de statu quo. Il peut alors être intéressant d’élaborer des stratégies où l’attitude favorable à la santé s’inscrit dans la routine, comme par exemple installer des distributeurs d’écrans solaires dans toutes les piscines municipales, au bord des plages et dans les parcs ou encore de placer les structures destinées aux loisirs ou à l’enseignement en plein air…à l’ombre.
Par ailleurs, beaucoup d’attitudes sont mues par des sortes de réflexes : ainsi la quantité de mets ingurgités diffère-t-elle selon la taille de l’assiette ! De même y a-t-il une grande inadéquation entre le volume d’écran solaire réellement appliqué et ce qui est recommandé pour assurer une photoprotection de bonne qualité. Il pourrait être alors bénéfique d’indiquer qu’il faut par exemple utiliser l’équivalent d’un quart d’un verre à liqueur sur chaque zone à protéger : visage et cou, dos, partie antérieure du tronc, jambes et bras. Ou encore fournir un système de mesure avec chaque tube de crème solaire.
La population répond différemment aux recommandations suivant la manière dont elles sont formulées : ce peut être « si vous suivez les recommandations des autorités de santé vous augmentez vos chances de vivre longtemps en bonne santé » ou « si vous ne suivez pas les recommandations des autorités de santé vous augmentez vos risques de mourir précocement. » Ce dernier message est utile pour encourager le dépistage de maladies tels que les cancers alors que le premier est plus efficace pour promouvoir la prévention. Le contenu du message importe également : il faut combattre les idées reçues notamment par exemple sur les caractéristiques des photoprotecteurs que les garçons estiment être gras, trop parfumés et désagréables tandis que les filles s’inquiètent de ce qu’ils peuvent « boucher les pores ». Il faut donc souligner que les écrans solaires n’ont pas ces inconvénients.
La connaissance ne suffit pas
Un autre concept est l’inadéquation entre la volonté et ce que l’on fait en réalité, qu’il s’agisse de procrastination ou d’un penchant pour une gratification immédiate plutôt que future. C’est ainsi que les jeunes préfèrent avoir « bonne mine » aujourd’hui plutôt que de se préoccuper des conséquences à venir. Robinson et coll. ont interrogé 658 adolescents sur les dangers de l’exposition solaire et leur comportement actuel : 85 % avaient des connaissances correctes quant aux risques encourus et les moyens de s’en prémunir. Cependant seuls la moitié d’entre eux ont indiqué utiliser des écrans solaires de temps en temps chaque été et ils étaient tous victimes de 3 à 4 coups de soleil par an même dans les groupes avec les phototypes les plus à risque.
Les adolescents et les jeunes adultes pensent que le cancer de la peau est un problème du sujet âgé de sorte que choisir d’opter pour la prévention devient dans leur esprit quelque peu intemporel. Il est donc important d’insister sur le fait que le mélanome se situe parmi les 4 cancers les plus fréquents chez les jeunes adultes de 20 à 29 ans (le second pour les femmes), autrement dit, un avenir pas si lointain.
Il faut également être plus persuasif en soulignant que le prix d’un mauvais comportement se paie déjà au présent : coups de soleil, rides, sécheresse de la peau, anomalies de la pigmentation. Il peut être plus efficace de montrer des photos de peau trop exposées au soleil que des images effrayantes de cancer de la peau.
Une prévention contractuelle
Le contrat peut être un autre outil pour aider à choisir entre combattre les conséquences futures ou opter pour une satisfaction immédiate. On pourrait par exemple proposer une rémunération pour l’utilisation d’écrans solaires, rémunération éventuellement remboursée si l’objectif n’est pas atteint. Ce type d’intervention s’est avéré efficace pour promouvoir l’arrêt du tabac.
Enfin, l’influence de l’environnement social est très importante. Autrefois, dans les groupes socioéconomiques les plus élevés, la norme était d’éviter le soleil pour signaler au reste de la population qu’on ne faisait pas de travaux manuels à l’extérieur. Plus tard on a travaillé de moins en moins en extérieur et il est devenu « à la mode » d’être bronzé. Autrement dit il faut tenter de changer les normes sociales. L’Australie où le taux de cancers de la peau est le plus élevé dans le monde a été pionnière en matière de prévention : en 1988 une campagne grand public (Sun Smart campaign) présentait un personnage amical qui promouvait la protection solaire dans les écoles, les lieux de travail et les piscines Il s’en est suivi une division par deux de la fréquence des coups de soleil. Car on avait ainsi en quelque sorte changé la norme : n’importe qui en Australie se sent désormais le droit de rappeler à des parents « négligents » qu’ils doivent mettre de la crème à leurs enfants de la même façon qu’ils leur diraient de mettre leur ceinture de sécurité !
Mais l’attitude des pairs compte également beaucoup pour les adolescents et les jeunes adultes. Ceux dont les amis sont hâlés sont significativement plus enclins à se mettre au soleil…Les différences d’attitude en fonction du sexe offrent aussi des opportunités pour inspirer les stratégies de prévention. Ainsi, dans une récente enquête, les garçons se disent influencés par l’attitude de leur petite amie face à la protection solaire. Pour les filles c’est ce que leur ont dit leur mère ou leurs amies, en particulier quant aux risque de rides, qui a le plus grand impact. Ces notions peuvent être utilisées dans les messages de prévention. L’on pourrait également faire intervenir des leaders d’opinion : pour les adolescents et les adultes jeunes, si les vedettes d’Hollywood (ou d’ailleurs) se montraient avec leur couleur de peau naturelle en suggérant que cela est « cool », quelques points seraient peut être gagnées pour la photoprotection…
Les approches pour encourager à un comportement raisonnable face à l’exposition solaire : éducation du public, ou encore réglementations sur les cabines UV se sont révélées efficaces. Mais, comme le montre cette analyse, en s’inspirant du comportement des individus et en particulier ici de la population jeune, il doit être possible de parfaire ces stratégies pour promouvoir «une attitude santé » et limiter le bronzage intentionnel.
Dr Marie-Line Barbet
García-Romero MT, Geller AC, Kawachi I.: Using behavioral economics to promote healthy behavior toward sun exposure in adolescents and young adults. Prev Med., 2015; 81: 184-188. doi: 10.1016/j.ypmed.2015.08.025.